Le Christ et les 4 rôles du leader

Pour les chrétiens, le Christ est le modèle du leader par excellence et toute autorité véritable s’appuie sur les principes qu’il a prônés et incarnés. Pour les autres, il reste une figure spirituelle et historique majeure, ainsi qu’une source d’inspiration pour une grande part de l’humanité.

Avec le profond respect que mérite une figure aussi monumentale, la fête de la Nativité m’a donné envie d’aborder, sous une perspective particulière, le concept des quatre rôles du leader, que nous développons au cabinet Synergies & Co, dans nos parcours de formations de managers : en l’éclairant à la lumière de la posture et du chemin du Christ.

Comparaison n’est pas raison et j’ai pleinement conscience du caractère forcément réducteur et déformant de l’exercice. En outre, j’y ferai sans doute des raccourcis et des interprétations dont je prie humblement les puristes de m’excuser ; il s’agit d’un exercice d’analyse imaginativedestiné à inspirer votre posture de leader en ce début d’année.

Ces quatre rôles du leader fonctionnent par duos complémentaires :

• leader porteur de sens & leader porteur de cadre
• leader accompagnateur & leader porteur de challenge

Ces quatre rôles ne suivent aucun ordre de classement. Chaque leader les endosse à tour de rôle, selon les besoins de chaque situation, et c’est dans cette complémentarité que réside la force d’un leadership efficient et équilibré.

Nous appuyant sur l’histoire du Christ, je vous propose d’explorer chaque duo de rôles du leader, incarné par notre personnage emblématique :

 

A) Leader porteur de sens & leader porteur de cadre

 

1. Leader porteur de sens 

 

Le leader porteur de sens incarne la vision, la raison d’être et la mission de l’organisation. Il partage une vision claire et inspirante, précisant l’objectif (ou les objectifs) ET la finalité des actions à engager. C’est le « Pour Quoi » qui éclaire chaque action. Cette clarté de vision est non seulement rassurante et motivante pour les équipes, mais elle les guide également dans leur réflexion sur le « comment » procéder. En effet, si diverses manières de faire permettent d’atteindre l’objectif, toutes ne conduisent pas à la satisfaction de la finalité !

 

1.1 Le partage de la vision

 

Vision et mission sont au cœur de la démarche du Christ. Leader inspiré, il avait une vision claire et transcendantale : sauver l’humanité et bâtir un monde basé sur l’amour et la compassion.

Jésus n’a de cesse d’expliquer le sens de son action. Il le fait également avec Ses disciples / « équipiers », au fur et à mesure qu’ils le rejoignent, mais aussi de manière régulière avec toutes les personnes qu’Il rencontre. Il adapte son langage à la réalité de Ses interlocuteurs, par exemple, pour inciter Simon Pierre et André à le joindre dans Sa mission, Il leur dit : « Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » (Matthieu 4 :19.)

Sa clarté et sa cohérence suscitent enthousiasme et adhésion, permettant aux personnes de prendre position librement, pour répondre ou non à son appel. Matthieu, le collecteur d’impôts, quitte son poste sur le champ pour devenir l’un des douze apôtres ; Zachée et certains malades qu’Il a guéris viennent grossir ses rangs, tandis que le jeune riche décline l’invitation de Jésus, en ayant conscience du coût qu’aurait pour lui cette décision.

Partager la vision du leader de façon claire permet aux collaborateurs une prise de position tout aussi claire. C’est donc à la racine d’équipes engagées réellement et en pleine connaissance du projet.

 

1.2 La clarification des valeurs 

 

Tout le parcours de la vie publique de Jésus pourrait se définir comme un parcours pédagogique dans lequel Il communique et clarifie de façon progressive ses valeurs, son objectif et sa finalité.

Il adapte sa communication à Son public, à Ses équipes et l’ajuste à la situation concrète, qu’elle soit collective ou individuelle. Il utilise ainsi une palette de ressources pour communiquer.

Nous connaissons bien les paraboles, ces métaphores qui prennent des images appartenant à l’univers des auditeurs. Une parabole possède différents niveaux d’interprétation, ce qui ouvre son message à un public hétérogène. Elle a la force de l’image, elle interpelle et mobilise, elle est toujours polysémique, son(ses) sens continue(nt) à se développer et à évoluer dans la compréhension du récepteur.

Jésus explique clairement son message, précise les priorités et indique quelles questions laisser de côté (« cherchez le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît »). Il peut donner des consignes précises. Il n’hésite pas à aborder les détails opérationnels face à des questions concrètes : comment prier, pourquoi payer l’impôt au césar, comment se conduire pour diffuser son message… Il anticipe les situations et prévient ses disciples / « équipes » sur la façon de réagir (« quand on vous livrera, ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz. Ce que vous aurez à dire vous sera donné à l’heure même, car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous »).

Un leader habité par sa vision et avec des valeurs claires devrait être capable d’utiliser différents styles et outils de communication, pour qu’ils inspirent, animent et nourrissent l’action quotidienne de ses équipes.

 

1.3 Distinguer objectif et finalité

 

Jésus-Christ avait pour mission d’instaurer un royaume basé sur l’Amour et la
compassion.. Cette voie spirituelle ne l’empêche pas de rester à l’écoute des besoins concrets : la multiplication des pains ou les nombreuses guérisons physiques qui précèdent les guérisons du cœur illustrent Sa capacité à répondre aux besoins immédiats, tout en gardant à l’esprit une vision à long terme.

Parce qu’Il partage Sa vision et transmet des valeurs claires et incarnées, il peut tenir un discours de vérité dès le départ : « Vous serez haïs de tous, à cause de mon nom ; mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé ». La finalité est toujours claire.

À l’image d’un sportif ou d’un chef de guerre, il dispense une préparation mentale puissante, semblable au célèbre discours de Churchill préparant la population britannique à ce qui les attend au début de la bataille d’Angleterre : « Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Un autre exemple, plus actuel et dans un registre très différent : le discours du nouveau président argentin, Javier Milei, qui a gagné les élections avec le plus haut score de l’histoire de la démocratie argentine en faisant la promesse de sacrifices et d’un choc d’austérité, mais dans l’intention de sortir le pays de l’inflation croissante et d’une crise économique devenue permanente.

 

1.4 L’identité et les règles de vie de l’équipe 

 

Ce partage de la vision et de la mission pétrit Son équipe, formée de personnes venues d’horizons très différents pour lesquelles Il privilégie le savoir-être plus que le savoir-faire : hommes et femmes, pauvres et riches, rudes pêcheurs, studieux de la religion, rebelles politiques ou fonctionnaires de l’envahisseur romain.

Dans la situation où ses disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand, Jésus introduit le concept d’humilité, pas en tant qu’effacement, mais comme aptitude à voir le réel tel qu’il est : « Celui qui est comme le plus petit [enfant] sera le plus grand au royaume des cieux ».

Il établit le service mutuel comme règle, à travers son propre exemple : l’image du lavement des pieds de ses disciples souligne l’importance de l’exemplarité, mais surtout du service d’autrui pour atteindre l’excellence.

Un modèle de leadership contemporain a été vraisemblablement inspiré par ce positionnement :  Robert K. Greenleaf développe dans les années 70 le concept de servant leader. Ce modèle, très prégnant dans la littérature et les pratiques d’accompagnement actuelles, s’appuie sur l’écoute, l’empathie, le service à l’équipe en s’assurant qu’elle dispose des moyens nécessaires pour remplir ses missions et atteindre l’objectif commun.

La cohérence entre vision, mission, valeurs et règles de vie se réalise par l’exemplarité absolue du leader à tout moment et jusqu’au bout : Il dit ce qu’Il fait et fait ce qu’Il dit. « Tout est accompli. »

Comme un véritable grand capitaine, il se soucie de « ne pas perdre un seul de ceux qui lui sont confiés »Jésus marche en tête pour protéger son équipe à Gethsémani pour que les apôtres ne soient pas arrêtés à sa place.

 

2. Leader porteur de cadre

 

Le Christ instaure un cadre moral en communiquant des valeurs, telles que l’humilité, le service mutuel, et en établissant des règles de vie qui renforcent la cohésion de l’équipe. Le leader porteur de cadre établit la structure et les règles nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par la vision. Il donne des directives claires sur la manière d’obtenir les résultats souhaités.

 

2.1 Concilier exigence et bienveillance

 

Faisant preuve d’une bienveillance peu connue jusqu’alors dans l’Ancien Monde, Jésus est peut-être le leader historique par excellence, qui a su concilier exigence et bienveillance, poussant chacun à donner le meilleur de soi, au-delà de l’imaginable.

Face à la femme adultère qui devait être lapidée, Il demande que celui qui n’a pas commis de faute jette la première pierre. Les condamnateurs étant partis, Il dit à la femme : « Je ne te condamne pas non plus, va et ne pêche plus ». La demande de qualité morale est exigeante pour tous, mais enveloppée d’une bienveillance véritable.

Il préserve ses équipes sans les détourner de leur mission. Ainsi, au retour de voyage de ses disciples, Il leur propose de se retirer et de se reposer un peu, pour les préserver de la fatigue et leur permettre de se ressourcer.

Il désignera Pierre à la tête de sa future organisation, l’Église : mission d’une exigence de taille, par l’exemplarité et la cohérence qui lui sont demandées. Il connaît pourtant les faiblesses du chef de ses apôtres et prédit même le reniement de sa part. Pierre le réfute en bloc et insiste sur sa fidélité, mais c’est finalement ce qui se produira (Pierre pleurera lorsqu’il se souviendra de ces paroles après avoir renié le Christ pour sauver sa vie).  Pourtant, cet épisode soudera l’engagement de Pierre envers Jésus : il portera la mission avec un courage sans faille, au prix de sa vie, accomplissant avec une grande humilité des actions d’éclat.

 

 2.2 Oser dire non

 

En tant que leader porteur de cadre, nous connaissons la nécessité de savoir dire non. C’est un des aspects, en apparence, ingrats du management. Ce n’est pourtant pas opposé à la bienveillance, mais au contraire exigé par le rôle de garant des valeurs et de la mission. Cette capacité à poser des limites et à dire non peut prendre différentes formes et des degrés diverses, selon le style de la personnalité de chacun et la situation.

Sur ce point aussi, la personnalité très riche du Christ nous montre différentes manières de garder son cap.

Il n’hésite pas à se dérober et esquiver la situation quand la foule veut le nommer roi contre son gré, en dehors des temps décidés par Sa mission. Quand Pierre essaye de le dissuader de poursuivre en raison des grands risques qui se profilent, Jésus l’écarte avec fermeté, n’hésitant pas à utiliser des paroles extrêmement dures.

Il ne se laisse pas impressionner par les pharisiens et guérit les malades pendant le shabbat, pourtant jour de repos obligatoire pour les juifs. L’épisode le plus criant de Sa capacité à dire non et à refuser ce qui va contre le sens de Sa mission est, sans nul doute, celui où Il jette dehors les marchands du temple, unissant le geste à la parole.

 

B) Leader accompagnateur & leader porteur de challenge

 

3. Leader accompagnateur 

 

Le leader accompagnateur se concentre sur le développement des individus au sein de l’équipe. Il cherche à comprendre les forces et les faiblesses de chaque membre et les guide vers leur plein potentiel.

 

3.1 La posture de leader-coach

 

La conversation du Christ avec Nicodème, chef des juifs et membre du Sanhédrin (le directoire juif), au cours de laquelle Il explique la nécessité de la renaissance spirituelle, reflète Sa capacité à guider le développement d’une personne vers des horizons jusqu’alors impensables pour elle.

Ou quand Marthe, l’une de ses proches, se plaint du manque d’aide de sa sœur Marie pour les tâches concrètes de l’accueil et la maison, lui reprochant de s’asseoir pour écouter le Christ au lieu de s’atteler à la tâche, Jésus intervient en posant les priorités. Il ne réconcilie pas seulement deux façons différentes d’agir dans son « équipe », mais aussi deux aspects fondamentaux au sein de toute personne : l’action et la contemplation.

 

3.2 La présence, les différents niveaux d’écoute, les questions puissantes et la force du feedback

 

Ce point mériterait un article complet à lui seul, mais je vous propose déjà de survoler le sujet pour cette fois. La lecture des dialogues du Christ avec Ses interlocuteurs, à distance des siècles, donne parfois l’impression d’échanges décalés.

Pourtant l’écoute du Christ est réelle et profonde : ce qu’Il dit ou fait prend totalement en compte ce que son interlocuteur lui répond. Dans sa manière d’aborder une personne, Il commence souvent par demander un service, ainsi avec la Samaritaine : « Donne-moi à boire » ou avec Zachée : « Il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »

Très souvent, Il pose des questions à ceux qui lui demandent quoi faire. Répondre à une question par une autre question invite ses interlocuteurs à ouvrir le regard, à élargir le cadre de leurs croyances et à trouver en eux leurs propres ressources. 

Deux mille ans plus tard, l’art du coach reste en grande partie l’art de poser les bonnes questions pour permettre à la personne accompagnée de puiser dans ses ressources et d’élargir sa « carte du monde ». 

Il offre aussi un regard valorisant, que l’on sait aujourd’hui essentiel depuis que les expériences en psychologie de la deuxième moitié du 20e siècle ont démontré l’influence du regard d’une personne faisant autorité sur les performances d’une personne sujet : c’est la puissance de l’effet Pygmalion ou de l’effet Golem, son opposé !

 

4. Leader porteur de challenge

 

De son côté, le leader porteur de challenge pousse les individus, et l’équipe, à sortir de leur zone de confort. Ce rôle incite à l’audace, à remplir pleinement tous les volets de la mission, à dépasser les limites perçues et à chercher des solutions créatives aux défis. Le leader stimule ainsi la capacité d’exécution de ses équipiers, challengeant avec exigence et bienveillance leurs réalisations pour les conduire vers le meilleur possible.

Dans la parabole des talents, Jésus encourage le développement des compétences individuelles, valorisant la richesse de chacun et son apport à la mission commune, invitant chacun à les développer pleinement dans la perspective d’un retour vertueux.

Le Christ a fait d’une poignée d’illettrés, issus d’un petit pays marginal et soumis à un puissant empire, les porte-voix d’un message chargé de valeurs qui ont changé le monde occidental et ont été les fondements d’une nouvelle culture.

Pierre, le peureux, est devenu le chef courageux ; Paul, le persécuteur implacable, est devenu le semeur et le protecteur des nouvelles Églises ; Thomas, l’hésitant, qui disait ne croire que ce qu’il voyait, a porté la bonne nouvelle jusqu’aux confins de la Chine. Des femmes et des esclaves ont pris des rôles et des responsabilités inimaginables dans l’Ancien Monde.

 

Conclusion

 

En analysant les manières d’être et de faire du Christ sous le prisme des quatre rôles du leader, nous percevons un modèle de leadership puissamment inspirant et parfaitement équilibré.

En tant que leader porteur de sens, Il partageait une vision claire et des valeurs cohérentes.

En qualité de leader porteur du cadre, Il a formé une équipe diversifiée et devenue performante, appuyée sur des valeurs et des règles de vie très solides.

En tant que leader accompagnateur, Jésus développait le potentiel de ses disciples, les transformant en porteurs de message. Il se reposait également sur cette posture de leader-coach pour guider tous les individus vers une croissance personnelle et spirituelle.

Enfin, en tant que leader porteur de challenge, Jésus inspirait l’audace, lançait des défis pour stimuler la croissance et encourageait la responsabilisation.

Transposer les enseignements du Christ dans le monde contemporain et de l’entreprise nécessite, évidemment, une adaptation contextuelle, mais Ses principes fondamentaux demeurent une source d’inspiration intemporelle pour les leaders et les coaches d’aujourd’hui.