Le management d’équipe d’hybride : quels enjeux ?

La crise du Covid-19 a contraint les organisations à rattraper dans l’urgence leur retard en termes de digitalisation, généralisant pour un temps la pratique du télétravail. Après un temps d’adaptation, beaucoup de salariés, manageurs inclus, y ont découvert une manière plus flexible de travailler. Mais cette tendance ne doit pas masquer la diversité des vécus, les enjeux associés, ni les ajustements à mettre en œuvre avant de pérenniser la pratique au sein des organisations. Car cette nouvelle manière de travailler affecte tout autant le fonctionnement des équipes qu’elle alourdit la charge des manageurs.

« Le télétravail, c’est plus la télé que le travail ! » J’ai entendu cette phrase d’un haut dirigeant d’entreprise en fin d’année 2019. A peine plus d’un an après, elle semble désormais d’un autre âge.

La pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur de retards et de besoins d’évolutions. Grâce aux outils collaboratifs, beaucoup d’entreprises ont rattrapé, à marche forcée, leur retard en termes de digitalisation. Nombre d’entre elles auraient attendu 5 à 10 ans pour mettre en œuvre les changements organisationnels rendus nécessaires, dans l’urgence, par la crise sanitaire, notamment pour la dématérialisation des processus de vente, ou le développement des outils et processus de collaboration à distance.

Bien que le manque de visibilité sanitaire et économique soit encore prégnant, les entreprises s’affairent actuellement à l’évolution de leur organisation du travail, en s’appuyant sur les adaptations mises en œuvre depuis bientôt un an.
La plupart de ces réflexions conduisent les organisations à envisager durablement le recours partiel au télétravail.

Cette perspective est sans doute vertueuse, dès lors qu’elle n’est pas imposée. Elle permet de proposer une organisation du travail plus flexible mais ne répond pas aux envies et besoins de tous les collaborateurs, qui ont vécu les adaptations successives de ces derniers mois avec une grande hétérogénéité de sensations.

« Aucune envie de revenir au bureau », déclare Nico, 31 ans, juriste dans une grande entreprise. Installé durant le premier confinement sur le littoral de Loire atlantique, il a complètement réorganisé sa manière de travailler, grâce aux outils digitaux fournis par son employeur. « Finie l’heure et demie quotidienne de transport, je peux réinvestir ce temps perdu à ma guise, soit en activité perso, soit pour organiser différemment ma journée de travail. Même chose pour les réunions fleuves. On s’est beaucoup amélioré depuis le premier confinement et nos réunions à distance sont aujourd’hui bien plus courtes, et aussi plus efficaces que lorsqu’on se réunissait au bureau ! »

Si la perception de Nico n’est pas isolée, tous les collaborateurs n’ont pas vécu de la même manière le travail à distance imposé par les contraintes sanitaires.
Pour Anne, responsable ressources humaines, le confinement puis le maintien du travail à distance a été « très impactant dans l’équilibre de vie familiale, avec une énorme porosité entre vie privée et vie professionnelle. Aujourd’hui je n’aspire qu’à retourner au bureau, sortir de chez moi et retrouver du contact social ».

On le voit, la perspective d’évolution des conditions de travail vers le mode hybride (c’est à dire mêlant télétravail et travail au bureau) n’ira pas sans des ajustements dépassant les seuls aspects organisationnels.

L’enjeu majeur est de parvenir à concilier des attentes et besoins antagonistes, pour maintenir le sentiment d’appartenance et garantir la performance de l’organisation.

 

Des besoins clés renforcés, pour demeurer une équipe et fonctionner efficacement

 

Bien que les conditions de fonctionnement diffèrent de l’équipe traditionnelle, l’équipe hybride ne présente pas, en soi, de différence majeure dans ses besoins clés. Les principes de base d’efficacité collective s’appliquent évidemment, mais avec encore plus de force et de difficultés à surmonter.

Car, entre un besoin accru de communication, une vigilance renforcée par rapport au phénomène de dilution du sens au fil du temps et des niveaux hiérarchiques, une attention nécessaire aux difficultés individuelles des équipiers à distance, et les enjeux d’efficacité collective en mode hybride, le management de ce type d’équipe est infiniment plus consommateur de temps et d’énergie pour le manageur.

Celui-ci n’a alors plus d’autre choix que de revoir l’allocation de ses ressources individuelles aux différentes tâches qu’il/elle réalisait précédemment, l’obligeant à déléguer pour se concentrer désormais sur un rôle de chef d’orchestre, et non d’homme ou de femme orchestre.

 

(Re)donner aux manageurs le pouvoir de… manager

 

Il est rare de voir un chef d’orchestre jouer la partition du soliste, quand bien même serait-il tout aussi qualifié. Il ne viendrait pas davantage à l’esprit d’un leader d’équipe de forces spéciales de prendre la place d’un de ses spécialistes, tel le sniper, même s’il était lui-même un ancien expert reconnu dans ce domaine. La raison, toute simple, en est que l’on ne peut diriger « tête haute », le regard porté à la fois sur chaque membre de son équipe et sur l’environnement, en étant orienté vers l’efficience du collectif, et en même temps concentré sur une tâche individuelle à haute valeur ajoutée.

C’est pourtant ce que font nombre d’entreprises en confiant à leurs manageurs des tâches opérationnelles clés, négligeant l’intérêt de leur donner les moyens de… manager.

Le risque est d’autant plus élevé que, dans cette période de tensions économiques, la volonté de ne pas rater d’opportunité conduit à une inflation fréquente des projets, là où le principe d’efficience imposerait au contraire de prioriser.

Ce dernier point est d’ailleurs un enjeu prégnant pour beaucoup d’organisations que je rencontre. Toute crise impose de se recentrer sur l’essentiel et de concentrer les efforts sur les actions clés permettant de sortir du « X », la zone d’instabilité maximale, baptisée ainsi par les Navy Seals parce qu’elle est le point de bascule à la croisée des destinées entre la fin de l’aventure et la sortie du tunnel.

Or, sortir du « X » demande au manageur d’ouvrir son regard sur la situation, d’analyser rapidement le rapport des forces en présence, de ne pas perdre de vue la finalité de sa mission tout en choisissant une voie pour atteindre un nouvel état souhaité, enfin de décider et de piloter la mise en action de la décision. Autant de rôles clés qui devraient inviter toute organisation à (re)donner aux manageurs le pouvoir de manager plutôt que les diluer dans des tâches opérationnelles à superviser et non à réaliser.

 

Conserver le lien

 

La question du lien est également un sujet clé de l’équipe hybride. En effet, s’il n’est déjà pas aisé de créer un collectif solide et doté d’un sentiment d’appartenance à l’équipe, l’enjeu devient crucial lorsque les équipiers ne sont que rarement réunis sur un même site.

Il en va d’ailleurs de même au niveau de l’entreprise, qui est une équipe d’équipes et repose sur les mêmes besoins et principes fédérateurs.

L’enjeu est ici de s’assurer qu’éloignement ne devient pas synonyme d’isolement, autant pour des raisons de cohésion que d’efficacité. Cela impose du manageur qu’il incarne lui-même cette attention à ceux qui sont éloignés, et qu’il suscite cette dynamique au sein de son équipe.

Cela l’invite aussi à renforcer les points de contact individuels avec ses équipiers, pour éviter qu’éloignement ne devienne synonyme d’isolement. Car, si de nombreuses enquêtes internes montrent que la flexibilité du télétravail est majoritairement appréciée, y compris parmi la population managériale, ces résultats ne doivent pas masquer l’hétérogénéité des vécus. Les conditions du télétravail ne sont pas les mêmes dans tous les foyers et les besoins individuels sont différents d’un collaborateur à l’autre.

C’est pourquoi, en plus des rituels collectifs de rencontre au sein de l’équipe, le manageur doit planifier des rendez-vous périodiques individuels de manière plus fréquente qu’en équipe physiquement réunie. L’expérience montre aujourd’hui que ces points peuvent être efficacement réalisés à distance.

 

Maintenir la dynamique collective

 

Le maintien de la dynamique collective est un autre besoin clé de l’équipe hybride, qui appelle à un renforcement de la coordination au sein de l’équipe et entre équipes. Cela impose, notamment, une communication efficace et ciblée pour que chacun, quelle que soit la distance, ait connaissance des informations utiles.

De manière paradoxale, la grande diversité des moyens de communication et le manque de règles d’usage ont conduit à une surabondance d’informations sous lesquelles croule un nombre croissant de personnes. Car trop d’information tue l’information ! Combien de messages non traités par inadaptation de la forme et/ou de l’outil ?

Face à cette inflation des informations échangées, le manageur n’a d’autre choix que de fixer des règles d’usage des outils de communication, qui répondent à des besoins spécifiques et ne sont pas adaptés à toutes les situations. Rappeler, par exemple, qu’un e-mail ne comportant pas un objet clair et unique, un corps du message explicite et concis, une finalité précisée, des actions et délais attendus, enfin des destinataires mûrement choisis plutôt qu’une liste irritante et déresponsabilisante est une responsabilité de base de tout expéditeur, me semble indispensable pour améliorer l’efficience et l’ambiance dans de nombreuses équipes actuelles.

Mais les enjeux de lien et de dynamique collective posent aussi la question de la place du manageur. A quel moment doit-il être présent au bureau ? Et dans quel but ? Autant de questions désormais posées par le management d’équipes hybrides, qui doivent être abordées en équipe pour que chacun trouve avantage à ce système modulaire tout en garantissant la dynamique collective.

 

Réinventer les manières de collaborer

 

Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur nos sociétés et nos économies restent encore à évaluer. Pour autant, cette crise aura permis de faire évoluer très rapidement des habitudes que l’on croyait gravées dans le marbre.

Cet événement planétaire nous offre l’opportunité de revoir en profondeur nos manières d’être et de faire dans de nombreux domaines, incluant nos modalités de travailler ensemble. Au moment où beaucoup d’entreprises revisitent leur organisation du travail, il conviendra de ne pas tirer de conclusions hâtives et de s’inscrire dans une démarche apprenante avec l’ensembles des acteurs. Ce sera, là encore, une belle occasion de susciter l’adhésion, l’engagement et de favoriser la capacité d’intelligence collective au sein de l’équipe d’équipes qu’est toute organisation humaine.