Pierre de Villiers : savoir être un chef

Le général Pierre de Villiers, ancien chef d’Etat-major des armées (CEMA), est l’auteur du livre Qu’est-ce qu’un chef ? Parvenu aux plus hautes fonctions accessibles à un militaire de carrière, il développe une notion qu’on aurait tort de croire dépassée. Etre un chef ne s’invente pas, cela s’apprend. C’est d’abord être au service des autres.

 

Servir d’abord

 

Ce n’est pas sans raison que le précédent livre du général de Villiers s’appelait Servir. Car avant d’être un chef, il faut apprendre à servir. Dans la vie civile, comme à l’armée, on ne s’improvise pas chef du jour au lendemain, et sans avoir fait ses preuves. Les dirigeants d’entreprises le savent, les officiers supérieurs aussi. Pour mériter de mener des hommes, il faut avoir eu l’humilité de servir. C’est d’abord dans les petites actions que l’on prouve sa capacité à réagir avec intelligence, perspicacité et à-propos. On appelle cela « faire ses armes ». Viendra par la suite, le temps d’être chef.

 

Pour mériter de mener des hommes, il faut avoir eu l’humilité de servir.

 

Réhabiliter le mot « chef »

 

Avec l’ère du management, nous avons eu tendance à dissimuler sous des vocables anglo-saxons un mot qui n’a pas mérité qu’on le boude. « Chef » ne doit pas être un mot qui fait peur ou que l’on redoute. Lui substituer systématiquement le mot de leader, c’est un peu craindre une notion qui n’a rien de condamnable.

Partout et en tout temps, il y a eu et il y aura des chefs. C’est-à-dire des têtes pensantes et qui seront en première ligne, pour mener les hommes et assumer les risques qu’elles ont pris. Emmanuel Macron lui-même n’a pas craint de prononcer le mot lorsque le différend budgétaire l’a opposé au CEMA. « Je suis votre chef », lui a-t-il rappelé. Dont acte.

 

« Le chef est un absorbeur d’inquiétude »

 

Sous la plume du général de Villiers, on lit ces mots : « Le chef est un absorbeur d’inquiétude et un diffuseur de confiance ». Voici une vision révolutionnaire de ce qu’est un chef ! Révolutionnaire dans les deux sens du terme. D’abord, au sens figuré, car nous avons rarement l’habitude d’entendre ce genre de phrase ! Pourtant, si le chef ne prend pas sur lui les doutes, les angoisses, les inquiétudes de ses troupes, de ses collaborateurs, qui le fera ? S’il n’est pas présent pour rasséréner les inquiets, les fatigués, ceux à qui manque la vision stratégique, à quoi sert-il ?

Révolutionnaire donc également, au sens littéral du terme. Dire cela, c’est revenir au sens premier du mot « chef », c’est retrouver la juste notion qui l’a défini. C’est faire ce retour en arrière, ou ce retour sur soi-même, qui permet d’aller de l’avant. Car le chef doit aussi savoir se remettre en question et se demander pour quoi on lui a attribué ce rôle, et pour qui.

 

Le chef est par conséquent celui qui a la capacité d’amener ceux dont il a la charge plus loin et plus haut.

 

Le chef possède l’auctoritas

 

Parmi les « vertus du chef » chères à Pierre de Villiers, on compte « l’exemplarité », « la sincérité », « l’humanité ». Celles-ci rejoignent ce que l’on a dit de la bienveillance au travail. On compte également « l’instinct », « la stratégie », « la vision », trois qualités sans lesquelles le chef – tout bienveillant qu’il soit – ne saurait où mener ses hommes. Enfin, l’on note l’auctoritas.

La potestas, c’est-à-dire le pouvoir de faire appliquer une décision, ne fonctionne bien qu’allant de pair avec l’auctoritas, sans quoi, l’on tombe dans l’autoritarisme et la tyrannie. L’auctoritas, chez les Latins, est cette notion d’autorité morale sur laquelle, seule, peut se fonder l’application d’un pouvoir. L’auctoritas prend aussi, précise le général de Villiers, un sens qu’il revendique : la capacité de « tirer vers le haut, élever ». Le chef est par conséquent celui qui a la capacité d’amener ceux dont il a la charge plus loin et plus haut. De les pousser et de leur permettre de se dépasser. Un chef n’agit jamais uniquement pour lui-même, mais il est toujours soumis au groupe dont il prétend diriger l’action.

Dans cette période d’incertitudes plurielles et de remise en question récurrente de l’autorité, assumer une fonction de chef peut parfois sembler une tâche bien ardue, voire ingrate. En choisissant la voie de la justesse, en redonnant du sens à ceux que l’on a l’honneur de diriger ; enfin, en aidant chacun à comprendre sa place dans le processus de création de valeur, on choisit de quitter la solitude du commandement pour avancer ensemble vers un futur choisi.