Bien-être au travail : le modèle danois est inspirant

Et si la crise que nous traversons nous permettait de modifier notre regard et de réorienter notre manière d’être au travail ?

Le confinement imposé par l’épidémie de Covid-19  amène de nombreux collaborateurs à expérimenter une autre organisation de vie, avec le télétravail.

En outre, cette crise réveille aussi des questionnements sur le sens, de notre vie, de notre rôle, des priorités.

Tout cela sera à examiner lorsque le confinement aura pris fin. Mais il est certain que cette prise de distance devra conduire à revoir certaines méthodes de travail. Alors, pourquoi ne pas nous inspirer du modèle danois, fondé sur la confiance, la liberté d’être soi-même dans l’entreprise, le respect du bien commun et le sens partagé ?

 

Un taux d’imposition élevé mais un grand bonheur : le paradoxe danois

 

Malgré un taux d’imposition élevé, le Danemark est, dans tous les classements effectués sur le bonheur au travail, l’un des premiers pays. Comment s’explique ce paradoxe apparent ? Le taux d’imposition marginal y est de 60% dès 52 000 euros de revenus par an et la TVA à 25 %. Dans le même temps, le climat y est rude, il y pleut beaucoup et la nuit tombe très tôt en hiver.

Pourtant, les Danois se disent heureux, et leur bien-être au travail repose sur des éléments tangibles. Le sentiment du bonheur au travail est calculé à partir de différents indices que sont :

– le taux du PIB
– l’espérance de vie en bonne santé
– le soutien social
– la liberté de choisir
– la générosité, ou altruisme
– le niveau de corruption
les émotions négatives ou positives.

45% des Danois se disent très satisfaits d’aller travailler, contre seulement 23% en France, où, selon une étude de la Fabrique Spinoza « 51% des salariés se disent stressés, fatigués. 26% s’ennuient, et 44% ne trouvent plus de sens à leur travail ». Quelles en sont les causes ?

 

La confiance entraîne le bien-être au travail

 

Plus on fait confiance à ses collaborateurs, plus on les traite en adultes, et plus ils se comportent comme des personnes de confiance et responsables. Cela paraît simple, mais ce n’est pas toujours le cas dans notre système, où l’on se focalise souvent sur la minorité de tricheurs, alors que c’est une pensée largement partagée dans les pays scandinaves, notamment au Danemark.

Il en ressort que le modèle danois est largement basé sur la confiance. C’est ce qui peut expliquer que le taux de corruption du pays soit si bas. Instaurer la confiance, c’est initier un cercle vertueux dans lequel chacun se sent responsable et comptable de ce qui se passe, au sein de l’Etat, de son entreprise ou de son équipe. Ainsi l’exemplarité est-elle essentielle : je serai beaucoup plus facilement suivi si je fais ce que je dis et montre l’exemple.

Dans de nombreuses entreprises danoises, les salariés sont invités à dépenser l’argent de l’entreprise – dans les notes de frais par exemple – comme si c’était le leur, renforçant la conscience collective que c’est l’argent commun et qu’il doit être dépensé en bonne intelligence.

De ce qui ressort régulièrement des études menées sur la manière de travailler des Danois, on peut retenir cela : la liberté de choisir ses horaires de travail en fonction de ses disponibilités et de ses devoirs, notamment familiaux, est largement répandue, et le travail à domicile est plus couramment encouragé qu’en France.

Cela permet de réduire le stress au travail, de concilier vie de famille et travail, et d’avoir une meilleure productivité, malgré un temps de travail souvent plus faible. Là où persiste, en France, le sentiment qu’il faut rester au bureau le plus longtemps possible pour montrer son efficacité, les pays du Nord ont adopté une logique inverse : celui qui reste tard au bureau connaît des problèmes d’organisation et révèle une moindre productivité. On va donc l’encourager à prendre du temps pour soi et pour les siens, à s’occuper de ses enfants et à mieux s’organiser.

 

Le bien-être procède du cœur

 

Etre bien dans son travail, c’est se sentir en harmonie avec ses valeurs, envies et besoins, c’est saisir le sens de ce que l’on fait et y adhérer tête-cœur-tripes. Toutes les dimensions de la personne sont requises, car nous ne sommes pas des êtres divisés, mais des individus.

C’est pourquoi, lorsque nous sommes dans un climat de confiance avec nos supérieurs, nos collègues et nos collaborateurs, nous sommes capables de meilleures synergies et d’une prise de risque plus importante. Rappelons que l’erreur est humaine et que seuls ceux qui ne tentent rien ne commettent pas d’erreurs.

Or, l’histoire regorge d’exemples d’innovations advenues à partir d’erreurs dont on avait su tirer les enseignements.

Je le rappelle souvent, j’ai eu de nombreuses occasions de constater le lien étroit qui unit confiance et performance. Lorsque la confiance est établie au sein d’une entreprise, et plus encore entre les équipes, la solidarité, la prise de risques mesurés, et la capacité à trouver des solutions adaptées s’en trouvent renforcées.

 

Du sens avant toute chose

 

Tout cela rejoint une seule et même problématique qui est celle du sens. Donner un sens à nos actions, à notre vie, à notre travail, est un moteur puissant de bien-être. La liberté d’être soi-même est un des leitmotive de l’éducation danoise.

L’accent est mis très tôt sur la liberté de choix des enfants, et sur la valorisation de leurs compétences. Il y est largement admis qu’il n’est pas de sot métier et qu’un enfant n’a pas pour mission de reproduire le schéma parental, mais de trouver sa propre voie.

De la sorte, on évite de projeter ses ambitions ou ses frustrations sur ses enfants, on les encourage à développer leurs talents et à quitter le domicile parental dès le début des études. Cela permet d’acquérir une plus grande confiance en soi et de restreindre les guerres d’egos.

Plus tard, dans l’entreprise, les personnes sont valorisées pour ce qu’elles font, mais aussi pour ce qu’elles sont. Cela renforce la bienveillance, sans que les entreprises danoises ne me paraissent pour autant exclure l’exigence. En revanche, chacun se sent moins contraint de (se) cacher ses émotions jusqu’à se sentir dans un état de mal-être ou frôler le burnout, comme on le voit davantage dans nos sociétés.

 

Adopter des valeurs communes au travail comme en société

 

Si l’Etat-providence danois fonctionne, c’est qu’il repose sur un socle de valeurs communes et de confiance largement partagé. La formation professionnelle est très présente tout au long de la carrière, et les indemnités de chômage sont élevées, parce qu’il y a assez peu d’abus.

La conscience commune repose sur le fait que l’Etat doit soutenir chacun de ses concitoyens, et qu’en retour chacun fera ce qu’il pourra pour ne pas grever l’Etat-providence. C’est ainsi qu’un petit scandale a secoué le royaume du Danemark il y a quelques années, lorsque « Robert le paresseux » expliquait dans une interview que cela ne le dérangeait pas de rester au chômage car il ne voulait pas d’un emploi dans un fast-food.

De la même manière, une conscience écologique largement partagée donne le sentiment d’appartenance à un collectif soudé et tourné vers un projet porteur de sens. C’est ainsi que le vélo électrique remplace souvent la deuxième voiture au Danemark, contribuant à diminuer le trafic routier, incitant à faire plus d’exercice et à prendre conscience de l’impact écologique de nos déplacements. Mais cela est rendu possible parce que l’Etat incite au développement de pistes cyclables et parce qu’il s’agit d’un élan de toute la population, au moins dans les grandes villes.

Tout n’est évidemment pas rose chez nos voisins danois, mais certains aspects de leur culture peuvent être inspirants pour nous. A l’heure où les Français regagneront massivement leurs bureaux, les collaborateurs, tous niveaux hiérarchiques confondus, reprendront le travail avec des prises de conscience et des envies de changement post crise. Pourquoi ne pas profiter de ce moment d’ouverture des regards pour expérimenter, en équipes, ce qui nous inspire chez nos voisins ?